AYAHUESQUOI ? PART I - Le sens dessus dessous

 
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“Quitte à se droguer, autant se droguer utile.”

Collage littéraire autour de la question du sens de la vie, du chat du Cheshire, du silence et de l’Ayahuasca. On va consulter Robert, utiliser son talent d’Alice Détective, chercher l’Appel à l’aventure et plonger dans un terrier. Entre autres.

Promenade de 5,5 pages, 15 minutes, 3374 mots

« – Cela dépend beaucoup de l’endroit où tu veux aller, répondit le chat.
– Peu m’importe l’endroit... dit Alice.
– En ce cas, peu importe la route que tu prendras, répliqua-t-il.
–... pourvu que j’arrive quelque part, ajouta Alice en guise d’explication.
– Oh, tu ne manqueras pas d’arriver quelque part, si tu marches assez longtemps. »

Alice au pays des merveilles, Lewis Caroll

Il est arrivé un moment où la question du sens de la vie s’est déposée sur moi de tout son poids, et pas des manières les plus délicates non, plutôt du genre malpolies et grossières à entrer sans frapper et ne pas comprendre qu’elle dérange.
Je gagnais bien ma vie, j’avais un joli appartement, je n’étais pas du genre dégueu à regarder, j’avais même un petit succès notable sur l’équipe masculine, je commençais à admettre que j’avais bien quelques qualités. Alors pourquoi me sentais-je aussi vide à l’intérieur ? Pourquoi me lever le matin était devenu insupportable ? Je m’ennuyais profondément et je n’arrivais pas à sortir de ce mystérieux abattement. J’aurais pu gagner un million de dollars, j’aurais soupiré de lassitude. Et après ? What is the point ?

La question n’était en réalité qu’un caillou qui cachait un cachalot. Derrière le sens de la vie se dissimulait toute une armée de questions déstabilisantes en formation poupées russes que je n’avais pas du tout envie de me poser et qui se sont déployées sur moi avec la violence d’un tsunami.

La question était bien venue me visiter parfois mais elle devait alors manquer de confiance en elle, elle était toujours repartie les oreilles basses devant mon indifférence. Je venais d’avoir 34 ans et si jusqu’ici j’avais réussi à l’ignorer, cette fois-ci je ne faisais plus le poids. Elle était devenue obèse, insolente et terriblement résistante. Elle ne pliait plus, ne se dégonflait plus, ne s’excusait plus d’être passée. Sa nouvelle assurance et son harcèlement n’avaient désormais aucunes limites, elle m’attendait au réveil, me suivait au travail, venait gâcher toutes mes joies, prenait toute la place dans le lit et ne manquait aucune occasion pour me rappeler, qu’elle avait tout son temps Chérie…
La question n’était en réalité qu’un caillou qui cachait un cachalot. Derrière le sens de la vie se dissimulait toute une armée de questions déstabilisantes en formation poupées russes que je n’avais pas du tout envie de me poser et qui se sont déployées sur moi avec la violence d’un tsunami. Quand on me demandait où je voulais aller déjeuner, je recherchais des choses significatives que j’avais accompli dans ma vie. On me parlait de cinéma et j’essayais de trouver ce qui pouvait me donner envie de me lever le matin. On me demandait mon numéro, je répondais : « Qui suis-je ? ». Entre autres.
Le plus troublant c’était le silence dont je prenais conscience devant ces questions. Je n’avais pas de réponses, il n’y avait que du vide à l’intérieur de mon corps et la panique de me sentir incapable d’entendre le moindre mot.

Le problème avec cette question, c’est qu’une fois qu’elle s’est accrochée à la godasse, on ne peut pas s’en débarrasser en la frottant contre un trottoir. Non. Cette question c’est une crotte indélébile qui défie toutes les matières et vient s’imprégner au plus profond des os. Une fois l’âme tâchée, ça pue le caca et aucun Fébrèze ne peut plus rien y faire.

Il fallait le faire taire ce silence insupportable et la chasser cette question inopportune. Mes deux-trois fameuses techniques d’oubli n’y firent rien. Même avec une bouteille de blanc dans la gueule, de la marijuana, des jouets de chair, des hobbys amoureux, Netflix et tous les détournements futiles d’attention que je pouvais trouver, la question restait lucide, parfaitement consciente et concentrée, et le silence persistait dans sa cacophonie assourdissante. Moi, je n’étais plus lucide ni concentrée et je ne parvenais même plus à retrouver la paix factice de ces états d’absence.
Le problème avec cette question, c’est qu’une fois qu’elle s’est accrochée à la godasse, on ne peut pas s’en débarrasser en la frottant contre un trottoir. Non. Cette question c’est une crotte indélébile qui défie toutes les matières et vient s’imprégner au plus profond des os. Une fois l’âme tâchée, ça pue le caca et aucun Fébrèze ne peut plus rien y faire. Je ne vivais plus qu’un huis-clos sordide avec LA question : C’est quoi le putain de sens de la vie ?

Je me suis souvent posée la question pharmaceutique de Morpheus, aurais-je pris la pilule rouge ou la pilule bleue ? Jusque-là j’avais beaucoup tergiversé, mon ego aurait aimé se voir courageux et pouvoir choisir la rouge mais mon goût du chauffage et des draps sortis du pressing lorgnaient plutôt vers la bleue. Maintenant qu’on m’avait fait avaler de force la rouge alors que je n’avais absolument rien demandé, je pouvais enfin répondre sans honte ni hésitation, la bleue ! Pour me soigner une carie, j’étais plutôt du genre à demander une anesthésie générale, alors évidemment la bleue !
J’aurais donné n’importe quoi pour revenir au monde d’avant, ce coma dont je n’avais pas conscience, mon métro-boulot-dodo anesthésiant, mes journées absurdes et vides de sens dans mon lit de Sleeping Beauty. Je n’étais pas heureuse mais cette vie avait au moins le mérite d’être cosy et confortable. J’aurais préféré revivre tous mes traumatismes passés, tous les chagrins dont je croyais ne jamais pouvoir me remettre, plutôt que cette souffrance là, ce sentiment de vide écrasant. Je me sentais malade comme jamais je ne l’avais été auparavant, comme si l’anesthésie avait cessé de faire effet. Je me réveillais en pleine opération du cœur, attachée à la table et incapable de crier sur cet incompétent d’anesthésiste, qui lui, était en train de finir tranquillement son sudoku.

Quel curieux paradoxe quand on s’y arrête un instant, s’éteindre parce qu’on veut allumer la lumière et qu’on ne trouve pas l’interrupteur…

Autant, avant cette période d’Occupation, je n’avais pas conscience d’être morte mais je ne désirai pas vraiment vivre non plus, autant à ce moment critique de ma vie, j’avais pris conscience de ma disparition et je crevais à la fois d’un désir furieux de vivre et de la peur panique de ne pas savoir comment m’y prendre. Quel curieux paradoxe quand on s’y arrête un instant, s’éteindre parce qu’on veut allumer la lumière et qu’on ne trouve pas l’interrupteur…
Dans mon brouillard, je pressentais que ma vie allait se jouer et commencer devant le Sphinx. Tant que je n’aurais pas résolu l’énigme du mystère du sens de la vie, je resterais aux portes de Thèbes, bloquée à l’extérieur de ma vie, dans mon ennui profond et mon sentiment de vide insoutenable. Je remarque aujourd’hui l’ironie de la situation, répondre à la question du sens de la vie aura été le sens de ma vie pendant toute cette période.

Maintenant que j’étais réveillée, autant essayer de me lever.

J’avais avalé la pilule rouge par erreur, par hasard, par malchance, après tout quelle importance ? Je l’avais avalée, de travers en plus, et je ne pouvais plus revenir en arrière. Maintenant que j’étais réveillée, autant essayer de me lever.
Alors j’ai mené l’enquête. Je n’avais aucune piste mais j’avais de la méthode. Elle commence toujours de la même manière, consulter mon indic le plus fiable et informé : Le Petit Robert. Il m’indiqua que le mot « Sens » pouvait prendre la définition d’une signification et/ou d’une direction. J’étais déçue et paniqua quelque peu, j’ai besoin de concret Robert ! De concret ! Sa réponse prît des allures d’énigme : « Idée intelligible (…) qui sert à expliquer, à justifier son existence ».
Pour la première fois, Robert me laissait toute seule dans le noir. J’avais le sens dessus-dessous. Je ne m’attendais pas à trouver le sens de ma vie dans le dictionnaire mais tout de même une petite piste ou un petit caillou de Petit Poucet, cela m’aurait bien dépanné.
Où était donc cette « idée intelligible » que je ne pouvais nommer ?

Ma première observation se porta sur la réaction que provoquait cette question, presque toujours on perdait en convivialité et l’ambiance devenait gênante. Si j’avais posé la question pharmaceutique de Morpheus, j’aurais été mieux reçu.

Je ne me suis pas découragée, il n’y a pas que Robert dans la vie. Les rues regorgeaient de témoins et d’observateurs. Je suis partie sur le terrain, j’ai pratiqué des micros-trottoirs à longueur de journée, posé la question à un panel large et varié, la boulangère, des collègues, des amis, des enfants qui traînaient dans le coin…
Ma première observation se porta sur la réaction que provoquait cette question, presque toujours on perdait en convivialité et l’ambiance devenait gênante. Si j’avais posé la question pharmaceutique de Morpheus, j’aurais été mieux reçu.
Lorsque j’insistais un peu trop devant l’opacité et la confusion des réponses, le sondage se clôturait bien trop souvent par un mouvement d’urgence et de panique « Bon tu nous emmerdes Sarah avec ton sens de la vie ! Hein ! Pourquoi se torturer avec ça ! ». Je n’ai pas peur d’être lourde et pénible lorsque ma vie en dépend alors je m’acharnais. La question était peut-être un peu trop vague, c’est quoi TON sens de la vie PERSO ? C’est quoi qui te donne envie de te lever le matin TOI ?
Personne n’a su me répondre, ou plutôt me donner une réponse satisfaisante. J’ai bien eu deux-trois zozos qui m’ont perdue avec des « petits bonheurs tous simples » et « l’Amour » mais je n’avais aucune piste sérieuse à prendre en filature. C’était bien joli comme idée l’amour mais encore aurait-il fallu que j’élucide une autre affaire sur laquelle je me suis épuisée pendant tant d’années : « C’est quoi l’Amour ? ». Je l’avais classé sans suites et remisée au fond de mes tiroirs. Cole Porter avait demandé à Dieu : « What is this thing called Love ? » et personne ne lui a jamais répondu. Il eût bien tenté d’apporter quelques éléments de réponses comme c’est « rigolo » et « mystérieux », mais bon… si le génie de Cole ne pût aller plus loin que ça, ce n’était pas mon petit talent d’Alice Détective qui allait élucider cette affaire-là.
Bref. J’étais déjà débordée avec le dossier du sens de la vie, je n’avais pas le temps de me rajouter une enquête touchy supplémentaire.
Car, le nœud du problème résidait bien là. Je n’avais plus le temps. J’avais le sentiment d’avoir gâché 34 ans en frivolités et bagatelles et je me sentais terriblement en retard, pressée par le tic-tac nerveux de la montre du lapin blanc, tellement en retard que je me sentais, comme Alice, courir pour seulement rester sur place et encore deux fois plus vite si je voulais rattraper le temps qui était parti loin devant moi.

Parfois il est nécessaire de reculer pour mieux avancer, alors je suis retournée voir Robert. Peut-être étais-je passée à côté d’un indice à force de m’agiter et de courir aussi vite. De toutes façons, je n’étais nulle part, je ne savais pas où aller et un peu plus ou un peu moins de retard n’aurait, à ce stade, pas fait une grande différence.
Bon. Il disait quoi Robert au juste ? Le sens peut être une direction et/ou une signification. Il m’apparut alors que la seule et unique direction où j’allais et pouvais aller était la fin de l’histoire, la conclusion, la Mort. Pouce ! Pause ! Comment ? Ah. La tuile. J’étais pourtant au fait du principe de fatalité mais ce fût la première fois que je pris conscience du caractère à sens unique de ma vie. Cette révélation m’a autant dévastée que soulagée. Il y avait tout de même quelque chose de rassurant de savoir que j’allais bien quelque part. Peut-être était-ce pour l’instant un peu trop ambitieux de m’atteler à la signification de ma vie, il valait sans doute mieux commencer par trouver un chemin un peu sympa pour rejoindre la destination finale. En théorie, j’avais avancé quelque part mais je restais toujours nul part. Aucun chemin ne se présentait devant moi, il n’y avait que du vide.

C’est long « des mois », c’était tout de suite que je voulais guérir de ma maladie, pas dans milles ans. Et puis, l’Amazonie c’est loin aussi, loin de mon appartement et surtout bien trop loin de ma zone de confort.

Ce fût un peu avant cette période confuse d’Occupation du sens de la vie que je rencontrai pour la première fois l’Ayahuasca. Au début, je n’y ai pas vraiment prêté attention. Découvrir qu’il existait une plante amazonienne utilisée depuis des lustres par des chamanes pour parler aux esprits ne méritait pas d’ouvrir une enquête. Je voyais plus le chamanisme comme une petite curiosité amusante qu’un vrai centre d’intérêt sérieux et tangible.
Alors que je n’avais jamais entendu parler de cette plante jusqu’ici, elle s’était mise à exister tout à coup et je la croisais régulièrement sur mon chemin, un documentaire, au détour d’une conversation, dans un magazine… Même si ma curiosité avait été piqué par un jeune homme dépressif au bout du rouleau qui avait trouvé la paix et un sens à sa vie au Pérou avec des diètes de plantes chamaniques, le sujet ne me parlait toujours pas. Je n’étais pas une aventurière et je ne me voyais pas passer des mois en pleine forêt amazonienne pour guérir de mon attaque soudaine de spiritualité.
C’est long « des mois », c’était tout de suite que je voulais guérir de ma maladie, pas dans milles ans. Et puis, l’Amazonie c’est loin aussi, loin de mon appartement et surtout bien trop loin de ma zone de confort.

J’avais besoin d’une carte routière, d’un panneau de signalisation « C’est par ici », d’un guide-mentor/conseiller d’orientation, d’une boussole, d’un GPS avec l’adresse enregistrée. J’avais besoin qu’on me dise ce que je devais faire.

La vie a alors mis sur mon chemin un adepte de l’Ayahuesca. Je ne faisais plus que croiser mollement le sujet, le sujet s’est mis à faire partie de ma vie. Si au début les récits cauchemardesques de ses expériences et son enthousiasme frisant l’obsession m’ont largement fatiguée, une phrase un beau jour a capturé toute mon attention.
- « L’Ayahuasca c’est une voix qui te parle. »
Avec le recul, je peux dire que tout est parti de cette phrase anodine. Les hallucinations horrifiques et les transes terrorisantes ressemblaient plus à des histoires de fantômes qu’une réalité dans laquelle je pouvais me projeter et que de toutes façons je ne voulais certainement pas vivre. En revanche une Voix qui te parle personnellement à toi-même, là ça devenait intéressant.
J’ai dû poser milles questions. Je ne me souviens pas des réponses. Aucunes. Je n’arrive pas à me prononcer, soit elles étaient trop obscures pour pouvoir m’en souvenir soit je n’ai entendu et gardé que ce que je voulais entendre, à savoir : quelqu’un ou quelque chose peut répondre à mes questions.
J’avais besoin d’une carte routière, d’un panneau de signalisation « C’est par ici », d’un guide-mentor/conseiller d’orientation, d’une boussole, d’un GPS avec l’adresse enregistrée. J’avais besoin qu’on me dise ce que je devais faire.
Je piétinais sur mon enquête, la vie ne me donnait pas de signes, de mots, d’indices pour avancer. C’était comme si elle refusait obstinément de communiquer avec moi, tout comme mon dedans avec qui la connexion wifi était cassée. Je ne vivais plus que dans ce silence insupportable où personne ne semblait vouloir me parler. Alors je m’en foutais que ce fût la voix d’une plante, d’un renard, d’un fantôme, … du moment qu’on me parle, qu’on remplisse ce vide et qu’on m’indique une direction. N’importe laquelle… pourvu que j’arrive quelque part…

Il me fallait un truc fulgurant et puissant, et boum je trouve le sens de la vie. Bref, il n’y avait que la magie qui pouvait m’aider. Et la seule chose à portée de main qui y ressemblait était l’Ayahuasca, une plante psychotrope et hallucinogène.

- Oh, tu ne manqueras pas d'arriver quelque part, si tu marches assez longtemps. » dit le chat du Cheshire à Alice.
Ça ne m’arrangeait pas vraiment de marcher longtemps. J’avais besoin du Voyage du Héros de Joseph Campbell, une grande aventure initiatique qui bouleverserait ma vision du monde. Seulement voilà, pour vivre ce genre d’expérience transformatrice, cela nécessite d’avoir du courage et du temps et je ne possédais ni l’un ni l’autre.
J’étais déjà super à la bourre, je n’avais pas le temps de marcher loin et longtemps, de passer Sept ans au Tibet et nouer une amitié avec le Dalaï-Lama, de faire une randonnée en solitaire de 1 700 km sur le Pacific Crest Trail, ou encore de subir un long et éreintant training de jedi pour me transformer.
Il me fallait plutôt une bonne aventure efficace comme Marty McFly, qui en s’absentant à peine quelques secondes du présent, réussit à changer sa vie, ou une petite mais non moins grande aventure comme Alice et son passage éclair au Pays des Merveilles. Il me fallait un truc fulgurant et puissant, et boum je trouve le sens de la vie. Bref, il n’y avait que la magie qui pouvait m’aider. Et la seule chose à portée de main qui y ressemblait était l’Ayahuasca, une plante psychotrope et hallucinogène.

Ou pour faire plus court, mon aventure format Feignasse me tendait les bras.

Je n’avais donc ni le temps ni le courage de passer trois mois de rituels chamaniques au Pérou et mon sens de l’aventure était plutôt timide et peureux. L’aventure c’est d’accord, mais avec option chauffage. Tout m’indiquait qu’une aventure chamanique n’était pas à la portée de ma constitution fragile, et pourtant elle est devenue peu à peu possible et tout à fait réalisable. Grâce à l’expérience de mon adepte de l’Ayahuasca, une option « facile » et tout confort, certifiée conforme à mon niveau de courage et d’engagement s’est présentée à moi : un séminaire d’initiation de trois jours dans un centre sécurisé au Portugal.
Le package parfait WE-Aventure Significative pour bouleverser ma vision du monde et trouver le sens de la vie est apparu devant moi, à portée de main. Ou pour faire plus court, mon aventure format Feignasse me tendait les bras.
Bingo. Tout était là, de l’aventure et des draps propres, de l’exotisme, du mystique, du mystérieux, une touche d’extraordinaire, et en plus pas trop loin.

Me défoncer la gueule c’était d’accord mais ouvrir mon esprit j’évitais.

Il ne restait plus qu’une résistance, la partie drogue. Je me suis toujours droguée très clairement dans un but précis, pour oublier. Et peut-être aussi pour me faire beaucoup de mal, parce que je ne savais pas que je pouvais me traiter autrement. Ingérer volontairement une drogue avec des vertus thérapeutiques dans le but de guérir et accéder à une profonde compréhension du monde et de moi-même, paradoxalement, ça me gênait beaucoup. Me défoncer la gueule c’était d’accord mais ouvrir mon esprit j’évitais.
Avec le recul je réalise que je me suis surtout droguée pour faire taire toutes les voix et les réduire au silence. La Voix qui m‘obsédait depuis plusieurs semaines me terrorisait mais il était devenu une nécessité vitale de l’écouter.
Quitte à se droguer, autant se droguer utile. Si Alice a pu prendre du LCD pour se rendre aux Pays des Merveilles, je pouvais prendre une petite lampée de plante d’Amazonie pour aller parler à mon chat du Cheshire.

C’était maintenant ou jamais. Je commençais à être de moins en moins désirée et invitée aux partys avec mes questions gênantes, mon infection à l’âme et mon profond ennui s’aggravaient chaque jour un peu plus. Je n’avais plus le temps d’attendre qu’il se passe quelque chose. J’avais passé ma vie à attendre. J’avais attendu qu’on m’appelle, des réponses, des signes, de l’attention, de l’amour, une direction, d’être prête, le bon moment, « l’appel à l’aventure », qu’on me parle… Je crevais d’attendre qu’il se passe quelque chose. Et il ne se passerait rien si je continuais d’attendre. Je n’allais pas tomber au fond d’un terrier entre la ligne 2, mon travail et mon appartement. C’était à moi de choisir et d’agir, d’aller l’attraper par les cheveux l’aventure. Bon d’accord, je prends la pilule rouge. J’ai sauté dans le terrier.

J’étais juste désespérée. Je n’avais plus rien, pas de mots, pas de réponses, pas de solutions. J’avais besoin d’un terrier, j’en ai vu un, j’ai plongé dedans. Point.

À l’époque, j’avais raconté à tout le monde avoir été « appelé par la plante », une manière un peu jolie de justifier mon inconscience totale et de la déguiser avec un peu de spiritualité. Ou une manière sereine et lumineuse de dire : T’inquiète, je sais ce que je fais, je gère.
Je découvre en me replongeant dans cette histoire que je peux l’assumer aujourd’hui la vérité. Je n’ai pas du tout été « appelé par la plante », je ne savais absolument pas ce que je faisais, je n’avais absolument pas envie d’en passer par là, j’étais plutôt carrément contre. J’étais juste désespérée. Je n’avais plus rien, pas de mots, pas de réponses, pas de solutions. J’avais besoin d’un terrier, j’en ai vu un, j’ai plongé dedans. Point.
Il était beaucoup plus facile de raconter que la plante m’avait « appelée » que d’avouer ce que j’allais chercher là-bas avec les seuls mots que j’avais à l’époque : il-paraît-qu’on-peut-entendre-une-voix-qui-nous-dit-ce-qu’on-doit-faire-et-qui-peut-répondre-à-nos-questions-existentielles.
Même si j’étais totalement inconsciente, je reste une femme studieuse et méthodique. Je me suis préparée comme un astronaute de la NASA pendant des semaines en lisant tous les ouvrages que je pouvais trouver sur le sujet, j’ai cherché des témoignages, des enquêtes, j’ai suivi le régime préparatoire…
Je souris avec beaucoup de tendresse de tous mes efforts aujourd’hui. J’ai eu beau prendre le sujet très au sérieux, rien ne pouvait me préparer à ce qui m’attendait là-bas. Je m’attendais, ou peut-être j’espérais, une petite fessée bobo de l’univers, un petit chahutage qui change la vie mais pas trop douloureux. En réalité, je m’attendais à tout, sauf à ça.

"Comment savez-vous que je suis folle ?" demanda Alice.
"Il faut croire que vous l'êtes, répondit le Chat ; sinon, vous ne seriez pas venue ici."

Alice au pays des merveilles, Lewis Caroll

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