AYAHUESQUOI ? PART II - La Chamanerie
“Percer le mystère du sens de la vie méritait bien de donner de sa sueur et de son vomi.”
Collage littéraire autour d’un seau, d’une cérémonie de Tabac, de l’exorcisme et de la persévérance. On va se moquer des tongs du chamane, faire pipi toute la nuit, refaire toute la scénographie et parler philosophie dans la voiture de papa. Entre autres.
Promenade de 5 pages, 13 minutes, 3284 mots
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« Plus d'un homme instruit en est à ignorer que le seul moyen de changer d'idée est de changer d'action. Tous les passionnés exorcisent d'abord les pensées par des pensées, et bien vainement. L'ancien exorcisme, par le geste, était le plus sage.»
Propos de littérature, Alain
Si le Bien a besoin de beaucoup de temps et de maturation, faire une connerie en revanche ne nécessite pas plus de deux secondes. Il ne m’avait suffi que d’une seule seconde d’inconscience totale pour acheter mon billet d’avion et m’inscrire à ce week-end d’initiation à l’Ayahuasca, alors je me suis interrogée avec beaucoup d’inquiétude. Durant de longues semaines jusqu’au grand départ, j’ai oscillé constamment entre le sentiment d’avoir fait le bon choix et celui d’avoir commis une ânerie monumentale. Seul le temps dévoilerait l’histoire que je pourrais raconter à la fin : une brillante aventure spirituelle guidée par une inspiration éclairée ou mon saut navrant du grand plongeoir sans avoir pris le temps de vérifier que la piscine était remplie.
J’ai voulu rebrousser chemin plus d’une fois et remonter en rappel le trou du terrier. Tant pis pour ma guérison, je pouvais vivre avec ma tumeur du sens de la vie, je pouvais essayer d’être heureuse avec mes problèmes de riche et ce vide existentiel qui me trouait à l’intérieur.
Décider de plonger dans le terrier avait été facile. Il n’avait suffi que d’une seule seconde. Le voyage vers le fond du terrier, de ma décision jusqu’à la plante chamanique, fût beaucoup plus long et sinueux. Il ne me reste qu’une seule chose de cette étrange période en suspension, la peur. La peur de me tromper, d’avoir l’air con, d’entendre la voix, de ne pas l’entendre, de regretter… J’avais autant peur de la bricole que de l’accident. J’avais peur que mon taxi ne vienne pas me chercher à l’aéroport, de mourir, de dormir dans un dortoir, de mal réagir aux psychotropes, de ne pas avoir ma carte vitale sur moi dans le cas où je devrais être emmenée aux urgences. Pourquoi je m’infligeais ça déjà ? J’ai voulu rebrousser chemin plus d’une fois et remonter en rappel le trou du terrier. Tant pis pour ma guérison, je pouvais vivre avec ma tumeur du sens de la vie, je pouvais essayer d’être heureuse avec mes problèmes de riche et ce vide existentiel qui me trouait à l’intérieur. Je rêvais parfois que mon avion soit détourné ou priais les dieux de la Chirurgie pour me programmer l’ablation de mon appendicite justement pendant ce week-end chamanique. Je m’imaginais aussi tout annuler, me louer un joli chalet en Suisse et revenir à Paris avec un gros mensonge. Étrangement une seule chose restait évidente, même lorsque je balançais vers mon fantasme suisse, je préférai de loin assumer d’avoir fait une grosse connerie que de ne pas la faire du tout. Je préférai avoir l’air bête que lâche. Il faut un certain courage et beaucoup de détermination pour aller au bout de sa bêtise.
Comme à chaque fois que je suis dominée par la peur, le temps jusqu’à l’épreuve redoutée a détalé comme un guépard et s’est traîné avec une féroce lenteur. Et puis en un claquement de doigt, je me suis retrouvée un jour de juin dans la chambre « Carotte » du centre chamanique au Portugal, assise sur ma valise, avec la révélation subite que je n’avais aucune idée de ce qu’il m’attendait. Je m’étais pourtant largement documentée sur le sujet, je connaissais les effets de l’Ayahuasca, psychotropes et physiologiques, l’histoire de la plante, du chamanisme, les informations diverses que j’avais récolté dans des témoignages. Mais il m’apparaissait à cet instant et avec certitude que je ne savais absolument rien.
Les chambres avaient des noms de légumes, les fenêtres étaient en plastique et les deux chamanes se sont dévoilés en habits paresseux, de la tong indolente, du short nonchalant et du marcel de mauvais goût. Mon désespoir était ronchon et avait perdu toute bonne volonté.
Je ne savais même plus ce que j’attendais, ni pourquoi je faisais tout ça en me rendant à la cérémonie de la Purge dans la grande salle. La culpabilité m’avait rejoint dans ma chambre et ne me quittait plus. Il y avait sans doute d’autres moyens plus intelligents et utiles de dépenser mon argent et d’autres chemins moins absurdes pour guérir de mon infection à l’âme. Je savais que je n’étais pas allée au Pérou dans une tribu traditionnelle, que je ne dormirais pas dans une hutte au milieu de la forêt d’Amazonie, mais tout de même j’imaginais autre chose. Mon désespoir était déçu et découragé, il avait besoin de magie pour guérir et tout ce qu’il voyait n’avait absolument rien d’enchanteur ni de mystérieux. Les chambres avaient des noms de légumes, les fenêtres étaient en plastique et les deux chamanes se sont dévoilés en habits paresseux, de la tong indolente, du short nonchalant et du marcel de mauvais goût. Mon désespoir était ronchon et avait perdu toute bonne volonté. Il ne croyait plus en rien. Et surtout il ne croyait plus à la magie. Si seulement il y eût cru un jour.
Je ne pouvais pas faire comme tout le monde ? Aller à des festivals sympas, joyeux et colorés le week-end ? Non moi j’avais choisi la cérémonie du Vomi. Et j’avais payé pour ça.
J’étais déjà au fait des détails de la Cérémonie de la Purge. Nous allions boire du tabac afin de purifier notre corps et le préparer aux cérémonies d’Ayahuasca. La procédure est la suivante : ingérer la plante sous forme de jus et tout de suite après enchaîner avec trois litres d’eau chaude d’un seul coup. L’effet vomitif du tabac fait le reste et le seau devient un partenaire essentiel au rituel.
Le cynisme m’avait déjà toute engloutie lorsque je me suis assise en tailleur devant mon seau, qui allait devenir mon meilleur ami pour les trois prochains jours. Voilà. Voilà où j’en étais, tellement désespérée que je me retrouvais au Portugal accroupie devant un seau en plastique. Je ne pouvais pas faire comme tout le monde ? Aller à des festivals sympas, joyeux et colorés le week-end ? Non moi j’avais choisi la cérémonie du Vomi. Et j’avais payé pour ça.
Excitées par la panique, toutes mes résistances se sont mobilisées d’un seul coup, ce qui se traduit chez moi par un fou-rire intempestif. La joie me submerge de rires, le désespoir et la panique en font tout autant. Je ne sais pas vraiment comment expliquer mon rire dans les situations incongrues. Ce n’est pas de la moquerie, certainement pas une marque de respect non plus. Je crois qu’il jaillit de la surprise et de l’étonnement. Je savais que j’allais vomir dans un seau et c’est ce que je m’apprêtais à faire, mais je m’attendais à tout sauf à ça. La réalité m’avait une fois de plus surprise par son imagination. Ou peut-être que mon imagination m’avait emmenée trop loin de la réalité. Une fois de plus.
Le rituel commença et les choses ne sont pas arrangées pour mon rire étranglé. Peu de choses se sont imprimées sur mon film de souvenirs. Tout s’est passé très vite. La lumière commençait à baisser mais il fit jour pendant toute la cérémonie. Les huit séminaristes furent disposés en cercle autour des chamanes en tongs qui préparaient longuement le tabac dans des bouteilles en plastiques clairement fatiguées. La femme chamane ne cessait de tapoter l’air nerveusement avec son pied. Je mourrais d’envie de l’arrêter avec ma main et lui dire, arrête madame, tu m’angoisses. Ils se mirent à «chanter» pour le tabac en secouant les bouteilles en plastique, un curieux chant dont je n’arrivais pas à comprendre l’harmonie. Il ne ressemblait à aucun autre chant que j’avais pu entendre et j’avais du mal à l’apparenter à de la musique. J’avais plutôt l’impression d’assister à une pièce de théâtre contemporaine et expérimentale qui mélangeait vocalises, chants d’oiseaux, gargarismes et onomatopées sur des notes inédites. Je n’arrivais à distinguer et reconnaître que deux sons distinctement : « gna-gna-gna-gna-gna » et « tchou-tchou ».
Je m’attendais à un folklore sérieux et professionnel. Je ne m’étais pas renseignée sur la culture graphique chamanique mais je ne sais pas pourquoi je l’imaginais bigarrée et bariolée. Un « mauvais goût » solennel et authentique, un bon « mauvais goût » traditionnel.
C’en était trop pour moi. Non vraiment ? La chanson du petit train et l’imitation du chant des oiseaux ? Des tongs ? Des bouteilles en plastique ? Je ne sais pas les mecs, un peu de mise en scène, un peu d’efforts dans la scénographie ! Un peu de plumes et de grelots sur vos habits, un peu de sérieux quoi ! La mondialisation avait grignoté toute l’authenticité du monde, vraiment ça ne m’aurait pas étonnée que les esprits soient en jogging.
Je m’attendais à un folklore sérieux et professionnel. Je ne m’étais pas renseignée sur la culture graphique chamanique mais je ne sais pas pourquoi je l’imaginais bigarrée et bariolée. Un « mauvais goût » solennel et authentique, un bon « mauvais goût » traditionnel.
J’ai toujours été très attaché au costume, il ne fait pas l’homme mais il fait partie du numéro. Je suis sensible au décor et à la mise en scène, ils apportent à mon sens beaucoup à la dramaturgie et la cohésion du tableau. Une crêpe réalisée par une cuisinière en bigoudène représente 25% du goût et de la magie de ma crêpe par exemple.
Niveau cohésion du tableau, nous étions proches de zéro. Je n’étais pas dans l’univers chamanique que je m’étais imaginée, je me situais plutôt vers un chamanisme de pacotille que je nommai immédiatement : la Chamanerie.
Percer le mystère du sens de la vie méritait bien de donner de sa sueur et de son vomi. Et qui étais-je pour juger des tongs d’autrui ?
J’ai grogné, ronchonné, soupiré, j’ai explosé intérieurement de rires moqueurs mais je me souviens surtout de deux choses de ce long week-end, la peur et la persévérance.
Malgré le fou-rire, le cynisme, les résistances, la mauvaise volonté… tout le ridicule que je pouvais pointer du doigt, la critique facile, l’insolence… la seule chose qui ne me quitta pas fût la persévérance. Sans doute un peu molle et capricieuse mais étrangement ce fût peut-être elle que je gardai au plus près de moi. Quitte à être là autant aller jusqu’au bout. Percer le mystère du sens de la vie méritait bien de donner de sa sueur et de son vomi. Et qui étais-je pour juger des tongs d’autrui ? Merlin aussi avait le goût des shorts, ce qui ne l’a pas empêché d’être le plus grand magicien de tous les temps.
Ah je les ai bus mon jus de tabac dégueulasse et mes trois litres d’eau chaude. Je n’ai pas triché, pas reculé, je suis allée jusqu’à la dernière goutte de mon gros pichet, même lorsque tout mon corps me criait : « Cà suffit Sarah ! On n’a plus soif on te dit !!! ». Persévérer. Même lorsqu’on n’y croit plus. J’avais déjà largement épuisé mon stock de dignité au cours de ma vie, je n’étais plus à une connerie prés et il m’apparut soudain que je n’avais plus rien à perdre. Ah non. Çà n’était pas la dernière goutte, la chamane me resservit un généreux pichet d’eau chaude. Persévérer. Aller jusqu’au bout. Jusqu’au bout du pichet.
Ils étaient loin les « tchou-tchou », les tongs et les bouteilles en plastique. Je le sentais bien le moment présent, celui dont j’avais tellement entendu parler et si rarement rencontré. Je les sentais bien le Ici et le Maintenant.
Les effets du tabac ne tardèrent pas à m’envahir. Je fus secouée de spasmes et de nausées. Je me sentais remplie à ras bord de vomi. Il était là mais coincé à l’intérieur, ou il refusait de sortir. Je me souvins avoir lu que la cérémonie de la Purge était aussi appelée la cérémonie de « lâcher-prise ». J’avais souvent entendu cette expression associée au yoga, la pleine conscience, la méditation, des activités douces et potentiellement agréables. Pas au vomi en l’occurrence. Ce fût peut-être la première fois que je le raccordais à quelque chose de désagréable et que je l’éprouvais dans la douleur. Ils étaient loin les « tchou-tchou », les tongs et les bouteilles en plastique. Je le sentais bien le moment présent, celui dont j’avais tellement entendu parler et si rarement rencontré. Je les sentais bien le Ici et le Maintenant. Il n’y avait plus que ce vomi que je n’arrivais pas à chasser de mon corps, le chant des nausées des autres qui envahirent la pièce, la musique de leur douleur et la mienne. Je vécus cette cérémonie comme un exorcisme, cette pratique qui vise à faire sortir d’un corps quelque chose qui ne lui appartient pas. MAIS SORS VOMI ! SORS !
Les seaux se remplissaient, tous sauf le mien. Deux émotions me submergèrent, la panique et la sensation d’échec. Mon esprit fort de compétition avait la désagréable impression de perdre le concours et j’étais terrorisée à l’idée de devoir vivre avec ce vomi dans mon corps toute ma vie.
Il a fini par sortir. Un long, très long et brutal soulagement. Je ne pouvais m’empêcher de quitter parfois le moment présent pour consulter l’avancée de la course en scrutant la hauteur des seaux des autres concurrents. La cérémonie se clôtura sur les félicitations de ma voisine de gauche qui leva ses pouces vers le haut pour saluer l’honorabilité de mon seau. Ouf.
Dans un dernier éclat de jour, les chamanes nous invitèrent à jeuner et nous coucher sans tarder. Le tabac est réputé pour purifier le corps mais aussi favoriser les rêves. La foi un peu entamée mais toujours avec beaucoup de sérieux, j’étais prête à accueillir les visions et avais placé un carnet à portée de main dans mon lit. Persuadée d’avoir gagnée mon ticket d’entrée pour le monde des esprits avec mon honorable seau de vomi, je partis me coucher en espérant que la Voix viendrait m’apporter des réponses dans mon sommeil. Je me sentais avoir dépassée ma fixation des tongs en short et prête à l’accueillir, qu’elle fût en jogging ou en robe de soirée.
Elle n’est jamais venue, ni le sommeil d’ailleurs. L’envie d’aller faire pipi m’a tenue éveillée toute la nuit et au moment où j’eus fini d’écouler le stock des trois litres d’eau dans mon corps, ce fût la faim qui m’obligea à quitter mon lit au petit matin.
À ce stade de l’aventure, je n’étais pas franchement satisfaite. Je commençais aussi peut-être à être vexée. Ça aurait été sympa une prise de contact avec les Esprits. Je ne demandais pas grand-chose, juste un petit coucou aurait été bienvenu. J’étais venue de Paris quand même et je n’avais que trois jours pour me remettre dans le bon sens. On perdait du temps là. Merde. Et puis l’histoire était molle et décevante. Elle ressemblait à un mauvais pitch de film : une femme part au Portugal pour trouver un sens à sa vie. Elle participe à une cérémonie chamanique de Tabac, une plante puissante aux vertus purificatrices qui suscite des rêves lucides. Et puis rien. Elle a fait pipi toute la nuit.
La majorité de mes trois litres d’eau étaient partis en pipi, l’exorcisme aurait-il été plus « quali » si tout était sorti en vomi ? Du coup c’était validé ou pas ?
Après consultation de la nuit des autres, je fus un peu rassurée. Seulement deux personnes du groupe des expérimentés avaient rêvés. Les esprits ne m’avaient pas snobée moi-personnellement, ils étaient sûrement occupés ailleurs. J’étais rassurée mais la déception m’avait tâchée profondément et l’inquiétude commençait à me serrer trop fort. Peut-être avais-je mal exorcisé. Je me repassais le film de la cérémonie en boucle. Rewind. Play. Pause. Forward. Rewind encore. J’examinais mon rythme d’ingestion des pichets. Trop lent ? Trop rapide ? La majorité de mes trois litres d’eau étaient partis en pipi, l’exorcisme aurait-il été plus « quali » si tout était sorti en vomi ? Du coup c’était validé ou pas ? L’Ayahuasca accepterait-elle de me parler ? Et si la Voix, les Esprits, avaient entendu mes moqueries dans ma tête ? Avais-je ricané trop fort ? Avais-je manqué de respect à tous les habitants de l’autre côté du voile, à la faune chamanique, le monde végétal magique ? Je les avais vexés, c’était sûrement ça. « La Chamanerie » c’était moyen niveau respect quand même. Ah merde. La tuile. Quelle conne. Je me suis encore laissée emporter et penser sans réfléchir. J’ai encore fait ma « Sarah ». Rewind. Play. Pause. Forward. Rewind encore.
La journée fut incroyablement longue et pesante. Il n’y avait rien d’autre à faire que d’attendre la première cérémonie d’Ayahuasca le soir. La peur était revenue me posséder et me remplir jusqu’à ras bord. Ce qui allait m’arriver me terrifiait. Ou plutôt ne pas savoir ce qui allait m’arriver. Aller sociabiliser avec les collègues ne m’intéressait pas vraiment. Et puis l’enclume de peur que j’avais dans le ventre m’empêchait de bouger et pouvoir aller vers eux. J’attendais tellement de cette prochaine cérémonie et en même temps je la redoutais. Je voulais à la fois aller jusqu’au bout, en finir et me sauver par la sortie de secours.
Entre l’ennui profond, mes différentes séances de flagellation et mes attaques de panique, je décidai de faire une sieste. Je fis une petite prière gentille à l’attention de tous ceux que j’avais pu blesser. Mesdames, Messieurs, chers Tous, les plantes maîtresses et qui de droit, veuillez pardonner mon comportement inacceptable d’hier et mes pensées outrancières. Je réalise à quel point je vous ai manqué de respect et je le regrette beaucoup. Je me présente à vous humblement dans l’espoir de vous rencontrer et de pouvoir échanger avec vous sur mes soucis de sens de la vie. Votre aide représente beaucoup pour moi et je saurai désormais m’en montrer digne. Promis. Je me permets de vous embrasser. J’espère à tout de suite. Sarah (de la chambre Carotte, bâtiment A, 1er étage).
Personne n’est venu. La fin de l’histoire restait obstinément la même : Et puis rien. Personne n’a voulu parler à Sarah.
C’était à n’y rien comprendre. J’étais venue ici pour REMPLIR le vide pas pour FAIRE le vide.
Je me sentais toujours aussi seule et vide à l’intérieur, mais quelque chose était différent. J’avais pourtant tout vomi et le vide était toujours le principal occupant de mon corps mais je me sentais également étrangement lourde et gonflée. Il était resté quelque chose qui voulait désespérément sortir de moi. Comme si je n’avais pas assez vomi. Comme si je ne m’étais assez vomie. Plus que tout ce que pouvait contenir mon corps, c’était moi que je voulais vomir. C’était à n’y rien comprendre. J’étais venue ici pour REMPLIR le vide pas pour FAIRE le vide. De toutes façons, c’était déjà tout vide à l’intérieur, il n’y avait rien à déménager ni à trier. Et puis je n’avais pas appelé Marie Kondo, j’avais demandé expressément Valérie Damidot. L’exorcisme avait décidément complètement raté. L’histoire était nulle. J’allais repartir à Paris comme j’étais arrivée au Portugal, avec un désert dans le cœur, dans l’âme, dans le corps. Et puis putain, qu’est-ce qu’on se fait chier ici. Mais sors Vomi ! Sors ! Merde.
J’ai passé tout le temps qui me séparait de la première cérémonie d’Ayahuasca avec beaucoup de dames de compagnie : ma peur panique, mes délires de persécution et d’injustice « Personne ne veut parler », mes angoisses d’exorcisme raté, mon corps gonflé qui ne m’avait pas vomi assez. J’étais venue pour trouver l’interrupteur de la lumière et je m’enfonçais encore plus profondément dans l’obscurité.
Avec la lumière de mon recul, je constate mon erreur. Je n’ai jamais été complètement dans le noir, j’ai toujours eu une petite bougie chauffe-plat avec moi, ma persévérance. Continuer. Toujours continuer. Aller au bout du pichet. Jusqu’à la dernière goutte.
Je n’avais pas envie de croire en Dieu mais ce jour-là je décidai de Croire. J’avais plus à gagner d’avoir la foi que de ne pas l’avoir.
Je n’ai jamais été baptisé, été sensible à la religion ou suivi un enseignement religieux, mais j’ai la foi. Je me suis souviens très clairement avoir choisi consciemment de croire. Cela faisait une éternité que je n’avais croisé ce souvenir et je crois même avoir oublié en route ma foi, même si elle a existé indépendamment de ma conscience jusqu’à ces mots. Toutes les conversations sérieuses et profondes que j’ai pu avoir avec mon père se situaient dans sa voiture. La voiture de mon papa était notre temple, nous y écoutions religieusement Rires et Chansons et pouvions passer des heures à discuter sur le parking quand il me raccompagnait chez moi. Ce soir-là, il me parla du pari de Pascal. Le philosophe avait choisi de croire en Dieu parce qu’il avait plus à y gagner que de ne pas y croire. Je n’avais pas envie de croire en Dieu mais ce jour-là je décidai de Croire. J’avais plus à gagner d’avoir la foi que de ne pas l’avoir.
Je grelottais de peur en descendant de ma chambre Carotte à la tombée du jour pour rejoindre la première cérémonie d’Ayahuasca, mais j’avais la foi. Finalement j’ai toujours été une désespérée qui croit et une amputée des deux jambes qui marche. Je partais conquérir une fin fabuleuse pour mon histoire, j’allais affronter cette nuit et parler avec la Voix.
C’est la foi même qui est Dieu.
Alain