Manifeste pour un naturisme amoureux

 
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“Nos oreilles sont pucelles, notre cul la catin. Les oreilles sont traitées avec condescendance, le cul avec violence. Les oreilles sont flattées, le cul fouetté.”

Collage littéraire autour de la séduction, des oreilles et du fessier, des rôles attribués aux genres. On réalise le tour de la femme coupée en deux, on joue avec Mr Patate et on finit encore tout nu. Entre autres.

Promenade de 3 pages, 6,5 minutes, 1895 mots


Le tour du magicien
Je me sens fragmentée et séparée, comme la femme coupée en deux par le magicien. Je n'ai pas de bouche, pas de mains, pas de jambes. Je n'ai et ne suis que des organes d'hôtesse de maison, dont les fonctions seraient d’accueillir et recevoir avec chaleur et hospitalité. Je m'imagine comme une paire de fesses sur lesquelles trônent des oreilles. Je ne me sens d'ailleurs pas comme un tout, un ensemble. Je me sens plutôt comme un joueur de foot et son manager, et non deux joueurs de la même équipe. On ne parle pas à mon équipe, on s'adresse au manager ou au joueur.

Il y a tout un processus administratif complexe, avec de la paperasse amoureuse, des rapports de conformité sociale, tout ça…  à se taper avant de pouvoir espérer se taper le cul. Et le guichet, c'est les oreilles.

En premier il y a mon cul. On le regarde du coin de l'œil, on le suit l'air de rien, comme ça, furtivement. C'est très mal vu de le regarder franchement et de soutenir son regard, répréhensible même, ça s'appelle du harcèlement. Et puis c'est mauvais genre de regarder un cul dans les yeux, tout le monde vous le dira, ce n'est pas la meilleure façon d'entrer en contact avec lui.

Non, on ne parle pas directement au cul, il faut passer d'abord par les oreilles, qui jouent un rôle essentiel d'intermédiaire, un peu comme un gardien d'immeuble ou la copine de la nana qu'on aimerait bien serrer. Il y a tout un processus administratif complexe, avec de la paperasse amoureuse, des rapports de conformité sociale, tout ça… à se taper avant de pouvoir espérer se taper le cul. Et le guichet, c'est les oreilles.


Présentation des oreilles
Vous avez déjà remarqué comment l'homme prend bien soin des oreilles ? Les oreilles sont traitées comme des jeunes filles au teint pâle, à la santé fragile, des petites pucelles qui rougissent à la moindre allusion sexuelle, tremblotent devant la virilité et peuvent s'évanouir d'indélicatesse. Les oreilles sont des femmes fragiles, douces, délicates, discrètes.

On ne veut pas effrayer les oreilles, les outrager, les violenter. On traite avec déférence les oreilles, respect, et douceur. On caresse les oreilles, on leur fait des bisous du bout des lèvres, on les vente avec un éventail, on leur murmure des pensées propres et javellisées. On susurre aux oreilles, on frémit, on sourit, on murmure, on parle tout bas, encore plus bas, car le monde pourrait bien nous entendre.

Les oreilles sont des licornes, des jeunes filles bien élevées par Mary Poppins. Les oreilles ont peur du noir, les oreilles pleurent sur une musique triste, elles disent merci, au plaisir, ou j'en ai plein les bottines. Les oreilles sont pures et chastes, rêvent d'amour et parlent entre elles sentiments et dentelles. Les oreilles sont quelqu'un de bien, comme il faut, elles sont de bonnes épouses, des duchesses qui se passionnent pour le crochet et les concours de jardinage. On les flatte les oreilles, on les séduit, on leur déclame de jolis poèmes. Que vous vous êtes bien mises ! Que vous êtes bien décorées !

On fantasme nos oreilles couvertes de voile blanc, et notre cul en dentelle noire. Nos oreilles sont pucelles, notre cul la catin. Les oreilles sont traitées avec condescendance, le cul avec violence. Les oreilles sont flattées, le cul fouetté.


Introduction du cul
On préserve les oreilles. Ce qu'on fait à notre cul, les oreilles ne peuvent l'entendre. Ce qu'on veut faire à notre cul, non plus.

On fantasme nos oreilles couvertes de voile blanc, et notre cul en dentelle noire. Nos oreilles sont pucelles, notre cul la catin. Les oreilles sont traitées avec condescendance, le cul avec violence. On baise les mains de mes oreilles. Mon cul n'a pas de mains. Pas de mains, pas de respect. Les oreilles sont flattées, le cul fouetté. On ne parle pas à mon cul d’ailleurs. Il n'a pas d'oreilles. On ment, pardon, on murmure à mes oreilles. Le cul, on le retourne, on le maltraite, on le défonce. Il n'a pas besoin de respect le cul, pas besoin de délicatesse, de poèmes ou de sourires. Une bonne fessée, c'est sur le cul, pas sur l'oreille. Hein ? On ne fouette pas les oreilles, on ne les attrape pas à pleines mains, on ne bave pas devant le trou des oreilles, on ne pénètre pas les oreilles.


Petit précis de séduction moderne
Alors comment parvenir à fouetter le cul ? Séduire pardon. Décryptons les règles du jeu de rôle grandeur nature dans lequel nous sommes prisonniers.

Phase un. La phase "Pas pour toi chérie". (Ou la Condescendance)

Les affaires sérieuses, la bombe atomique, la guerre, le sexe, c'est au rotary club qu'on en parle, pas au club de jardinage.

Il s'agit de rappeler aux oreilles leur place et de les maintenir dans leur corset de dentelle blanche. Attention une femme vient d'entrer dans la pièce. Chuchotements et murmures. Silence. On fait attention à ce qu'on dit devant une femme, on se tient bien. L'homme se sent alors investi d'une mission qu'il partage avec tous les hommes de la pièce, et de la planète d'ailleurs, et les unit au sein d'une société secrète. Ils endossent le costume de moustachus élégants et sérieux, cigares à la main, bien confortablement installés dans un Chesterfield du rotary club, et assènent le couperet, se jetant des airs entendus et grivois : "Attention, il y a des oreilles sensibles dans cette pièce…". Pas pour toi chérie. Oui messieurs. Attention. Fini la grivoiserie. Les oreilles sont là. Émotives, faibles, fragiles. Les affaires sérieuses, la bombe atomique, la guerre, le sexe, c'est au rotary club qu'on en parle, pas au club de jardinage.

Phase 2. La phase "Du dégueulasse dans la dentelle". (Ou la Parade amoureuse)

C'est le moment de séduire les moustachus ! On dandine la danse des 7 voiles. On leur donne de l'attention aux oreilles, on ne lésine pas sur les compliments. Même si c'est pas vrai. On écrit des poèmes, on déclame, on sort son ukulélé. On remarque les jolis bijoux, la tenue sexy. On flatte comme on tartinerait du Nutella, quand c'est bon, ce n'est pas jamais assez. On parle des étoiles, de fleurs, de mariage. On sourit. Beaucoup.

Alors on alterne. Une bonne grivoiserie, une réflexion bien salace et pouf on remet un peu de dentelle. On suggère qu'on en a "une grosse", et puis on leur montre l'étoile du berger.

Maintenant que les oreilles sont bien rangées à leur place et dociles, il s'agit là de rappeler au cul sa fonction, se soumettre au désir du Rotary Club. Mais attention, il ne faudrait pas y aller comme une grosse brutasse. On y va tout en subtilité. Je rappelle qu'il est bien connu que les oreilles jouent encore à la poupée, les oreilles ne se font jamais arracher leur culotte, les oreilles ne connaissent pas les MST. Alors on fait gaffe à ce qu'on leur dit. Au Rotary, on pense que le secret de la séduction se résume en deux mots : Finesse et Délicatesse.

Alors on alterne. Une bonne grivoiserie, une réflexion bien salace et pouf on remet un peu de dentelle. On suggère qu'on en a "une grosse", et puis on leur montre l'étoile du berger. C'est bien de le rappeler plusieurs fois qu'on a en vraiment "une grosse", et hop on leur chante du Véronique Sanson. On se jette sur l'ambiguïté dès qu'on entrevoit une brèche. Profond, humide, dur, tu la sens ? … Et on enchaîne avec un compliment et du "Ma petite jolie" bien sympa.


Et le cerveau il pense quoi ?

Tout le monde joue parfaitement son rôle dans la grande comédie romantique. Les oreilles font semblant de rougir, les moustachus font semblant d'être respectueux. Nous jouons la femme. Vous jouez l'homme. Nous jouons les princesses. Vous jouez les chevaliers.

Le masque de gentleman n'arrive jamais vraiment à cacher les canines de dinosaure carnivore. Et même la vieillesse qui nous courre après ne nous empêche pas de glousser encore comme des petites dindes timides et timorées. Quand le gentilhomme parle aux petites filles modèles, il ressemble à un végétarien la bouche pleine de chorizo, à un trafiquant de drogue qui fait passer sa coke dans des dragées pour mariage, un ado qui fume avec des gants Mappa à la fenêtre, persuadé que, non, ça sentira pas.

Quand le gentilhomme parle aux petites filles modèles, il ressemble à un ado qui fume à la fenêtre avec des gants Mappa, persuadé que, non, ça sentira pas.

Mais les oreilles sont aussi fautives que les hommes, elles simulent celles qui n'ont rien senti. Si. Çà sent. Çà sent dans toute votre chambre, votre haleine empeste comme vos doigts. Les oreilles gloussent mais comprennent : "Suce-moi ! Mais ferme les yeux ! - pardon, les oreilles-", un message qui interdit le consentement et le plaisir, enferme et réduit à une place et une fonction. Des oreilles et un cul.

Nous nous ne sommes pas des licornes et vous n'êtes pas des chevaliers. Vous êtes de grosses menteuses comme nos oreilles, qui font semblant de ne pas avoir entendu le pet dans le lit. Vous êtes de gros hypocrites comme nos oreilles qui font semblant de croire que la condescendance est une marque de respect, la flatterie de la séduction, le mépris de la galanterie.

Tout le jeu consiste à croire qu'on est différents, une paire de chaussettes mélangées, qu'on ne fait pas partie de la même espèce, ni même de la même équipe. La vérité c'est qu'on est tous enfermés dans la même cellule, dans la prison de la grande comédie.


On remonte vers mon cœur
Faisons un pas en arrière, encore un autre, pour avoir un plan large de la femme-oreilles. Imaginez plutôt des yeux, des oreilles, une bouche, des mains, des jambes, un chapeau. Comme Mr Patate. Voilà c'est moi. Il se passe pleins de choses entre mon cul et mes oreilles. Non pas mes seins. Derrière. Mon cœur. Coucou c'est moi.

Comment on fait pour sortir de la prison ? Pour recomposer la femme coupée en deux par le magicien, rassembler Mme Patate, former une équipe de chaussettes, pour se rencontrer, se parler cœur à cœur ?

Il y a quelqu'un dans le gîte, qui habite là, qui se sent aussi perdu que vous dans la grande comédie, qui n'a plus envie de faire semblant. Comment on fait pour sortir de la prison ? Pour recomposer la femme coupée en deux par le magicien, rassembler Mme Patate, former une équipe de chaussettes, pour se rencontrer, se parler cœur à cœur ?

On pourrait commencer par enlever nos déguisements. Je propose le naturisme. Tenez j'enlève mes boucles d'oreilles, mon corset, mon porte-jarretelle, ma jupe… Tous tout nu ! Tous à poils !
Bonjour je m'appelle Sarah, et toi ?

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